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Cadre de vie / santé

Prothèses auditives

    Vos oreilles valent de l’or

    Alors que la France compte environ 6 millions de malentendants, à peine plus d’un tiers sont équipés de prothèses auditives. Prix élevé des appareils, opacité des tarifs, confusion entre les services et la vente des équipements, faiblesse de la prise en charge par l’assurance maladie et par les mutuelles constituent autant de freins.

    SOMMAIRE

    Si tout le monde trouve normal de porter des lunettes à partir de la quarantaine pour remédier à la presbytie, il en va tout autrement pour les aides auditives. Alors que la France compte 6 millions de malentendants dont la plupart souffrent de presbyacousie (perte naturelle de la perception auditive due au vieillissement), à peine plus d’un million sont équipés de prothèses auditives. Comment expliquer un tel décalage ? L’argument trop souvent avancé d’un équipement inesthétique, qui « fait vieux », tient de moins en moins face à la miniaturisation des appareils et à la mode des casques et autres intrants auriculaires. La réalité, c’est que beaucoup de personnes renoncent à s’équiper en raison du coût exorbitant des aides auditives. Les résultats de notre enquête auprès de nos lecteurs est sans appel : 82 % des 2 800 personnes qui ont répondu placent le prix comme le premier frein à l’appareillage, loin devant l’aspect psychologique ou la mise en cause de l’efficacité des audioprothèses. Aujourd’hui, le prix moyen d’une prothèse auditive tourne autour de 1 500 € l’unité, soit 3 000 € pour un double appareillage, ce qui est préconisé dans la plupart des cas. L’achat d’un tel équipement est donc très onéreux et reste inaccessible à la plupart des Français. D’autant qu’il concerne très majoritairement une population de retraités dont les revenus sont moindres que ceux des actifs et dont la couverture santé par les organismes complémentaires est généralement bien moins avantageuse.

    La Sécu rembourse très mal

    Pour une paire d’appareils, la prise en charge par l’assurance maladie s’élève pour les plus de 20 ans à moins de 240 € (60 % du tarif de responsabilité fixé à 199,71 € par prothèse). Malgré les compléments apportés par les mutuelles, les patients doivent donc payer de leur poche plus de 2 000 € (voir tableau). Lorsque l’on sait que le montant moyen des pensions de retraite s’élève à 1 654 € pour les hommes et à 951 € pour les femmes, on comprend que beaucoup de malentendants ne peuvent accéder à un tel équipement, ce reste à charge constituant un obstacle rédhibitoire. D’autant que la durée de vie de cet appareillage est limitée et qu’il devra être renouvelé au bout d’une période de 4 à 8 ans. Or la malentendance n’est pas un trouble anodin et sa prise en charge n’est pas un luxe ! Quand on n’entend plus ou mal, on déprime, on s’isole, on a besoin d’être accompagné dans les actes importants de la vie, les déplacement se réduisent… La surdité génère de multiples effets collatéraux. Elle est aussi un facteur aggravant des problèmes liés à l’âge. Des études scientifiques récentes ont ainsi montré que l’appareillage de personnes malentendantes permet de ralentir l’évolution des troubles cognitifs (perte de mémoire, Alzheimer…). D’autres pays européens, comme l’Angleterre ou la Norvège, l’ont bien compris. Leurs services sociaux dispensent les prothèses gratuitement ou pour un prix symbolique et le nombre de malentendants équipés d’appareils auditifs est deux et demi à trois fois plus élevé qu’en France. Il y a donc urgence à rendre plus accessible l’appareillage des personnes qui en ont besoin.

    Face au déficit de la prise en charge par l’assurance maladie et les mutuelles, la Cour des comptes s’est saisie de cette question de santé publique. Dans un rapport publié en septembre 2013, les magistrats pointent « l’opacité et le caractère peu concurrentiel du marché des audioprothèses ». Si les fabricants sont également dans le collimateur de la Cour (voir encadré), ce sont surtout les audioprothésistes qui en prennent pour leur grade. Et pour cause. 80 % de la valeur serait créée lors de la phase de distribution. Un montant que les frais généraux et les prestations de service associées à la vente ne suffisent pas à justifier à eux seuls. Selon l’étude du cabinet Alcimed réalisée en 2011 pour le compte de la Sécurité sociale, les audioprothésistes appliquent un coefficient multiplicateur moyen de 3 à 3,5 sur le prix d’achat hors taxes, soit une marge brute de 1 063 € pour une audioprothèse moyenne gamme, vendue 1 600 € TTC. Pourquoi s’en priveraient-ils, puisqu’en France les tarifs de ces équipements sont libres ! « En l’absence fréquente de prescription précise de la part du médecin, qui n’est pas nécessairement un ORL, un audioprothésiste peut conseiller préférentiellement le recours à un produit haut de gamme, ce qui expliquerait qu’en France plus de 90 % des prothèses vendues relèvent de la classe la plus chère », constate la Cour des comptes. La tentation est grande pour certains professionnels d’avoir la main un peu lourde face à une clientèle souvent âgée et déstabilisée par un jargon hypertechnique. Une personne sur quatre ayant répondu à notre enquête a d’ailleurs le sentiment de s’être fait imposer ses appareils par l’audioprothésiste ! « Ce manque de transparence fait craindre que le patient français ne surpaie ses équipements », déplore la Cour des comptes.

    Opacité des tarifs et des prestations

    Certes, les spécialistes justifient leurs marges par leur professionnalisme et le service médical rendu. En effet, la loi de 1967, qui réglemente la profession d’audioprothésiste, rend indissociable la vente de l’appareillage lui-même et les prestations d’adaptation et de réglages qui l’accompagnent. Le prix payé par le patient comprend l’ensemble de ces prestations (réglages, nettoyages, renouvellement des accessoires, etc.). Certes, depuis 2008, les audioprothésistes sont tenus de remettre au patient, avant l’achat, un devis normalisé indiquant le prix de vente de l’appareillage proposé et celui des prestations indissociables. Mais, dans les faits, c’est rarement le cas car bien peu de professionnels distinguent clairement les deux postes. De plus, le montant facturé des prestations peut être très variable selon les enseignes. S’il représente en moyenne 30 % du prix total, il peut quelquefois être facturé 1 € symbolique, alors que chez un autre professionnel il représentera plus de 60 % du montant total de l’appareillage. Plus surprenant, le montant de la prestation est presque toujours proportionnel au prix du matériel. Plus l’appareillage est cher, plus le prix des services augmente, alors que la durée de la prestation ne varie pas ou peu selon la gamme de la prothèse ! Cerise sur le gâteau, il est d’usage de multiplier par deux le montant de la prestation en cas d’achat simultané de deux prothèses auditives. « Il existe pourtant une synergie dans la prestation, certaines étapes demandant la même durée pour les deux oreilles que pour une seule », remarquent les auteurs de l’étude Alcimed.

    Une opacité des tarifs et des prestations que dénoncent depuis des années les associations de malentendants, qui les assimilent à une forme de vente forcée car elle représente le paiement d’avance d’une prestation qui ne sera pas toujours utilisée. Par exemple, en cas de déménagement, voire du décès du porteur, de perte ou de renoncement à l’équipement, ou tout simplement parce que le service rendu n’est pas satisfaisant, que l’audioprothésiste a mis la clé sous la porte ou vendu son magasin… De plus, les prestations étant facturées par avance, certains professionnels peu scrupuleux peuvent être tentés de leur consacrer le moins de temps possible.

    L’avancée de la loi Macron

    Pour éviter ces dérives et rendre le marché plus transparent et plus concurrentiel, le rapport de la Cour des comptes préconisait le développement de nouveaux modes d’achat des produits, notamment par Internet, et le découplage du coût de la prestation de celui de l’équipement. Un grand pas dans ce sens vient d’être franchi par la loi Macron, dont l’article 44 modifie le devis normalisé en audioprothèse. Le terme « indissociable » n’y apparaîtra plus, et celui d’audioprothésiste sera requalifié au profit de « professionnel de santé ». Au grand dam des syndicats d’audioprothésistes qui se sont battus bec et ongles pour « défendre les spécificités du métier d’audioprothésiste », en clair pour conserver le modèle du paiement au forfait. Pour leur part, les associations de sourds et de malentendants ne cachent pas leur satisfaction, même si elles attendent la publication des décrets d’application. « La loi Macron a fait sauter un premier verrou, se réjouit Jacques Schlosser, président de Surdi 13 (Bouches-du-Rhône). La suppression du terme indissociable ouvre la voie à un remboursement séparé des appareils, de l’adaptation et du suivi. » Encore faudrait-il que l’assurance maladie modifie sa nomenclature, car elle conditionne les remboursements des complémentaires santé qui basent leurs taux sur le barème de la Sécu. Jacques Schlosser se prend à rêver : « Si la base de remboursement de l’assurance maladie passait à 300 € par appareil, celle de l’adaptation à 40 € par visite et celle du suivi à 40 € par semestre, on pourrait probablement multiplier par 2 ou 2,5 le parc d’appareils adaptés en France pour se rapprocher du niveau de l’Angleterre ou du Danemark. À côté des audioprothésistes “à l’ancienne” qui continueraient à vendre les produits et les prestations associées pendant 5 ou 7 ans, on pourrait aussi mettre en place une deuxième catégorie d’audioprothésistes qui ne vendraient que des services (réglages, entretien) en s’appuyant sur des appareils commandés par la Sécurité sociale. Comme en Angleterre où la NHS (système de santé publique britannique) lance chaque année un appel d’offres pour environ 1,5 million d’appareils (de moyenne et haute gamme) pour un prix de 50 à 100 € l’unité. » Une vision utopique ? Pas si sûr, car la pression se fait de plus en plus forte pour faire évoluer un système par trop opaque.

    Bientôt la fin d’un monopole ?

    En tout cas, une chose est certaine, la profession d’audioprothésiste est à l’aube de profondes mutations. D’autant que la technologie va sans aucun doute venir de plus en plus au secours du malentendant : logiciels libres, matériel détourné de son utilisation (transformer son iPod en amplificateur de son), autoadaptation de la prothèse sur Internet, achat de prothèses sans logiciel installé, etc. D’ores et déjà, la miniaturisation et le développement des techniques de programmation ont largement remplacé les réglages manuels. Les appareils les plus récents peuvent s’adapter automatiquement aux caractéristiques de l’audiogramme du patient quand celui-ci évolue, simplifiant beaucoup les réglages. Des industriels du son mettent actuellement au point des prototypes de casques permettant des réglages à distance, ce qui rendrait définitivement caduque la réglementation qui impose que les réglages soient réalisés dans les locaux de l’audioprothésiste. Le monde de l’audioprothèse ne pourra pas éternellement échapper aux bouleversements de l’ère du numérique !

    Coûts de fabrication : Aucune visibilité

    Par quel mystère le matériel de correction auditive échappe-t-il à la baisse généralisée et constante du prix des produits électroniques ? Alors que le coût des composants, puces et contours d’oreille, tourne autour de 60 € en moyenne, le prix de vente hors taxes d’une aide auditive, en sortie d’usine, via une centrale d’achat ou en direct, peut aller de 130 € pour une offre CMU à 600 € pour une prothèse haut de gamme comportant de nombreux canaux de réglage. Car plus ceux-ci sont nombreux, plus il est possible d’optimiser le confort d’écoute en fonction des différentes ambiances sonores. Et, bien sûr, le prix augmente en conséquence. Pour créer de la valeur ajoutée, les six fabricants qui se partagent le marché mondial multiplient les innovations. « Les produits d’entrée de gamme d’aujourd’hui étaient des produits haut de gamme il y a cinq ans », constatent les professionnels. Dans ces conditions, difficile de faire la part des choses entre les options purement marketing et celles apportant une réelle valeur ajoutée pour les déficients auditifs. D’autant qu’il n’existe pas à l’heure actuelle d’évaluation ­systématique de la performance des aides auditives, hormis le marquage CE basé sur une autodéclaration du fabricant. De plus, il se murmure dans la filière que, pour des raisons de praticité et de rationalisation des coûts de production, les processeurs numériques ou puces de dernière génération (plus de 16 canaux de réglage) montés sur les modèles de la classe D (la plus haute) équiperaient aussi certains produits des autres gammes. « Ils seraient alors bridés par le biais du logiciel associé qui limiterait l’accès à un nombre restreint de canaux disponibles », note l’étude Alcimed. Bien sûr, les fabricants ne communiquent pas sur le sujet ! « Seul Widex a officiellement démenti un recours possible à un bridage des puces », précise Alcimed. Car si cette supposition s’avérait exacte, cela signifierait que le coût des composants clés est similaire pour toutes les gammes. Et que les différences de prix n’obéissent en fait qu’à une logique commerciale !

    Marge brute moyenne des audioprothésistes

    Marge brute moyenne des audioprothésistes

    Une belle culbute

    Quelle est la marge brute moyenne dégagée sur la vente d’une audio­prothèse ? Pour le savoir, nous avons comparé les prix de vente publics moyens de notre panel de 10 appareils à leurs prix moyens d’achat. Il s’agit de prix approximatifs car, dans la réalité, les grandes enseignes ou les audioprothésistes indépendants qui ne distribuent qu’une seule marque peuvent négocier d’importantes ristournes auprès de leurs fournisseurs. Reste que même en partant de prix d’achat moyens, les marges brutes dégagées par les audioprothésistes sont des plus confortables. Selon la classe de l’appareil (1 : entrée de gamme ; 2 : moyenne gamme ; 3 : haut de gamme), le coefficient multiplicateur appliqué par les professionnels varie de 1,97 à 4,34. On remarque que la marge est inversement proportionnelle au prix d’achat de l’appareil. Logique car, que l’appareil soit haut de gamme ou premier prix, le travail de l’audioprothésiste (adaptation initiale de l’appareillage au patient et suivi prothétique au long cours) est le même. Selon la profession, ces prestations durent en moyenne 10 à 12 heures. Bien entendu, il s’agit d’une estimation théorique. Pour plus de transparence, les patients auraient donc tout intérêt à ce que la vente de l’appareil soit dissociée des prestations, afin de pouvoir comparer les prix entre plusieurs devis.

    Reste à charge pour l’achat de deux appareils

    Cliquez sur le tableau pour l’agrandir

    De 92 à 72 % de la poche de l’assuré !

    De 2 873 à 2 247 €, c’est la somme que le patient doit payer de sa poche pour s’équiper d’une paire de prothèses auditives. Le prix moyen de dix modèles parmi les plus vendus a été calculé à partir de 5 700 devis extraits de la base de données de la société Santéclair (1). Nous avons ensuite calculé le reste à charge pour une personne âgée de plus de 20 ans, selon qu’elle bénéficie ou non d’une complémentaire santé et, si c’est le cas, selon son taux de prise en charge. Au final, le reste à charge pour l’assuré sans mutuelle représente 92 % du prix, les contrats collectifs permettant de le diminuer d’environ 600 €. L’ennui c’est que la baisse d’audition concerne surtout les personnes âgées qui n’ont d’autre choix que de souscrire un contrat individuel à l’âge de la retraite.

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